PAULE LAVIGNE, CHEFFE DE BORD (*)
PAULE LAVIGNE, CHEFFE DE BORD (*)
Navigatrice depuis qu’elle est à la retraite, Paule Lavigne est la seule femme à savoir faire voguer le “Brokoa“, une chaloupe bizkaitar traditionnelle, emblème de l’association Itsas Begia.
Il ne faut pas entrer dans un port assis. Il faut se mettre debout, c’est une marque de respect. C’est dans le code de la nav’”. Par la nav’, il faut entendre la navigation, le passe-temps favori de Paule Lavigne, 77 ans, cheffe de bord du “Brokoa”. Sur cette chaloupe bizkaitar de 1992, 13 mètres de long pour trois de large, gréée de deux voiles au tiers et armée à l’aviron, elle est comme un poisson dans l’eau. Le vocabulaire utilisé y fleure bon le sel de mer. Sur la misaine, le mât, la voile peut se diminuer à l’aide de cordelettes, appelées garcettes, selon trois bandes de ris pour plus ou moins de surface selon la force du vent.
Pare-battages rangés, la sortie du port de Saint-Jean-de-Luz n’a lieu qu’après signalement au sémaphore de Ciboure, faute de visibilité dans le chenal. Le moteur coupé, la voile hissée, la baie s’ouvre sous une légère houle. La Rhune veille sur les douze matelots. Deux nœuds de vitesse, à peine quatre kilomètres par heure.
Fleuron d’Itsas Begia
“Le ‘Brokoa’ est difficile à manœuvrer : l’hélice est décalée du centre, comme un side-car qui tire d’un côté. Et le gréement n’est pas classique, donc virer de bord est compliqué”, explique la septuagénaire. Pour virer de bord, il faut parfois gambeyer, mettre toute la voile sous le vent du mât. “Avec beaucoup de vent, il faut des marins aguerris”, prévient-elle. Autre solution : affaler la voile, déplacer la vergue, tourner le rocambeau, anneau de métal sur lequel la voile est accrochée au mât, le tout après avoir inversé les étais.
Le “Brokoa” est le fleuron d’Itsas Begia. L’association luzienne est composée de 80 membres passionnés de voile et de maquettistes aguerris qui font revivre en miniature les bateaux locaux. Itsas Begia est la première structure créée pour sauvegarder le patrimoine maritime de la baie, en 1981.
Une telle traversée, c’est une réflexion sur soi. Je me souviens avoir parlé aux dauphins au lever du jour seule lors d’un quart, P. Lavigne
Entre 2019 et 2023, le “Brokoa”, le Fou de bassan en français, a fait l’objet d’une rénovation de la carlingue au pont, au chantier naval Debord à Gujan-Mestras en Gironde. Un investissement de plus de 40 000 euros et des journées de bénévolat. “Il m’a fallu deux jours pour peindre les neuf bancs en vert avec un chapeau de gendarme, un motif triangulaire blanc bordé de noir. Sur le grand mât, il y a au moins dix couches de peinture”, s’amuse Paule Lavigne.
Traversée de l’Atlantique
Paule Lavigne a découvert la navigation sur le tard, une fois à la retraite, à la fin des années 2000, lors d’une sortie sur le thonier-sardinier “Patchiku”. Titulaire de “tous les permis, rivière, côtier et le certificat restreint de radiotéléphonie”, à bord, elle aime “faire, décider, agir”. Lèvres rosées et teint hâlé, Paule Lavigne a multiplié les grandes aventures. En 2009, lors d’un stage sur le “Bélem”, un cadeau pour son départ à la retraite, l’ancienne inspectrice d’immeuble en région parisienne, est montée en haut de la première vergue, 34 mètres.
Deux ans plus tard, à 63 ans, elle a traversé l’Atlantique sur un bateau d’assistance à de la Mini Transat de La Rochelle (Charente-Maritime) à la Martinique. Elle a alors aidé un skipper qui avait perdu ses deux safrans à rejoindre le Cap-Vert. “Nous étions sept à bord, dont cinq femmes. Une telle traversée, c’est une réflexion sur soi. Je me souviens avoir parlé aux dauphins au lever du jour seule lors d’un quart”, confie la navigatrice qui “n’aime pas l’eau et ne sait pas très bien nager”.
Quant à sa place en tant que femme cheffe de bord, elle tranche : “Une femme fait le même boulot. Une fois, pour aller au Festival de la mer à Pasaia [Gipuzkoa] sur le ‘Brokoa’. J’ai demandé à l’équipage masculin : ‘cela dérange quelqu’un ?’ Silence. Alors, chacun savait ce qu’il avait à faire”. Le 7 novembre, elle est retournée à Pasaia pour assister à la mise à l’eau du baleinier “San Juan”. Toujours debout, évidemment.
(*) Article originale publié par Mediabask le 13/11/2025
